vendredi 7 décembre 2001

[Archives du réseau Encore féministes !] Commémoraiton 2001


 Le 6 décembre 2001, place du Québec (à St-Germain-des-Prés), nous étions une vingtaine, vêtues de noir. Quatorze d'entre nous incarnaient ces mortes et chacune, à l'appel de son nom, est allée déposer une rose blanche sur le monument.
"Aujourd’hui, mercredi 6 décembre 2001, nous, féministes de tous les pays, nous portons le deuil et nous honorons la mémoire de :
Geneviève Bergeron
Hélène Colgan
Nathalie Croteau
Barbara Daigneault
Anne-Marie Edward
Maud Haviernick
Barbara Maria Kluznick
Maryse Laganière
Maryse Leclair
Anne-Marie Lemay
Sonia Pelletier
Michèle Richard
Annie St-Arneault
Annie Turcotte

Lecture a été donnée d'une lettre de la Québécoise Élyse Dupras, datée du 25 novembre 2000
« Je suis touchée de voir comment, en France comme ailleurs, le 6 décembre est devenue une date significative pour la lutte contre la violence faite aux femmes. En tant que Québécoise et féministe, je tiens à vous remercier de commémorer le massacre de Polytechnique : oublier les effets de la haine contribue souvent à lui permettre de faire de nouvelles victimes... Je vous remercie, tout en sachant que le deuil des victimes de Polytechnique n'est pas seulement le mien, il n'est pas seulement celui du Québec, il est celui de toutes les féministes, et donc le vôtre tout autant que le nôtre.
La violence faite aux femmes est un problème sur lequel on a largement légiféré au Canada comme au Québec. Nos avons de très bonnes lois... mais elles ne sont pas toujours appliquées, et les outils dont nous nous sommes dotéEs sont excellents, mais ceux qui devraient en disposer hésitent souvent à les utiliser. Aussi la violence conjugale recule-t-elle très lentement. Les organismes de soutien sont sous-financés, et sans cesse débordés...
La lutte n'est pas terminée. Elle ne le sera pas de sitôt. Seule la solidarité, votre solidarité, peut faire reculer la violence contre les femmes, sous toutes les formes qu'elle prend.
Que vos rubans blancs couvrent Paris et forment un pont paisible entre les féministes du monde! »

Nous avons distribué des tracts aux passants et nous en avons laissé à disposition, sous les roses. Deux heures plus tard, nous avons vu que des mains anonymes avaient aussi déposé, au même endroit, des oeillets blancs.

SOUVENONS-NOUS D'ELLES ! ENSEMBLE, DISONS
NON À LA VIOLENCE MACHISTE ! OUI À LA SOLIDARITÉ FÉMINISTE !

jeudi 6 décembre 2001

[Archives du réseau Encore féministes !] Tract distribué le 6 décembre 2001


« LE FÉMINISME N’A JAMAIS TUÉ PERSONNE, LE MACHISME TUE TOUS LES JOURS. »

Benoîte Groult

Commémoration du massacre à la Polytechnique (Montréal)
jeudi 6 décembre 2001, à 19h, place du Québec, à Paris

Nous, féministes de la région parisienne, nous appelons à un rassemblement à Paris le jeudi 6 décembre 2001, à 19h, place du Québec (au coin de la rue de Rennes qui fait face à l’église Saint-Germain-des-Prés), afin de commémorer le massacre de la Polytechnique, à Montréal (Canada), il y a douze ans, le 6 décembre 1989. Nous nous recueillerons et nous déposerons des fleurs blanches.

Comme la tradition s’en est créée depuis 1999*, des féministes, femmes et hommes, se retrouveront à Paris (et, nous l’espérons, dans d’autres villes) pour que l’on n’oublie pas ce crime machiste : quatorze Québécoises (treize étudiantes et une employée) ont été assassinées par un homme qui avait crié « Je hais les féministes. »

La violence symbolique, celle des mots et des images, est l’un des degrés dans l’escalade des violences contre les femmes. Nous qui sommes engagé-es contre la violence machiste, nous portons un ruban blanc, pour témoigner de notre opposition à toute violence machiste.

Tous les ans, nous manifesterons ainsi pour garder vivant le souvenir de ces quatorze mortes.

Venez vous joindre à nous ! Ralliez-vous à notre ruban blanc !

* en 1999, à l'initiative de féministes du groupe "La Barbare"

UN RUBAN BLANC CONTRE LA VIOLENCE MACHISTE

Porter un ruban blanc sur son vêtement signifie : « Je suis engagé-e contre la violence machiste. » En Europe, on connaît le ruban rouge, lié à la lutte contre le sida. En Amérique du nord, il est courant d’arborer un ruban de ce type : il symbolise un engagement et sa couleur permet de savoir duquel il s’agit. Le nôtre est blanc, parce que le blanc est un symbole universel de paix.

le massacre de la Polytechnique
L’histoire de ce ruban remonte au 6 décembre 1989. Ce jour-là, un homme, Marc Lépine, armé d’un fusil-mitrailleur, entra dans l'École Polytechnique de Montréal ; il pénétra dans une salle de cours, il en fit sortir les hommes ; il hurla : « Je hais les féministes », et il tira. Il tua quatorze femmes, treize étudiantes et une employée, puis il se suicida. On trouva sur lui un tract antiféministe et une liste de femmes connues qu’il voulait aussi assassiner.
Le choc fut terrible dans le pays et fit prendre mieux conscience de l’ampleur de la violence contre les femmes. Les 6 et 7 décembre, à travers le Canada, plusieurs groupes de femmes organisèrent des veillées funèbres (à Paris, des féministes se rassemblèrent devant la Sorbonne). Certaines portaient un ruban blanc.
Des hommes de Toronto reprirent cette idée à l’automne 1991. Ils fondèrent la Campagne du Ruban Blanc, qui organise des actions de prévention dans les écoles. Cette Campagne se développe à travers le monde, en Afrique du Sud ou dans les pays nordiques. Au Canada, les pouvoirs publics ont pris des mesures : la loi sur le contrôle des armes à feu est la plus sévère du monde, et la justice a été sensibilisée aux besoins des femmes victimes de violences. De nombreux débats publics ont lieu au sujet de la culture machiste, avec son exaltation de la violence virile.
Et pourtant, la situation des femmes au Canada est la meilleure au monde ! Année après année, le pays reste en tête du classement établi par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). S’agit-il de la meilleure situation, ou de la moins mauvaise ? Parmi bien des sujets pour lesquels la satisfaction ne peut être que relative, celui des violences.

la violence contre les femmes, ça suffit !
On parle souvent de « guerre des sexes », sans connaître l’origine de cette expression. Nul-le ne sait qui a déclaré cette prétendue guerre, mais les faits sont là : la quasi totalité des victimes en sont des femmes. Ça suffit ! Il y a eu trop de violences, trop d’injustices. Trop de femmes assassinées, blessées, violées, excisées, torturées, prostituées, avilies, humiliées, et pourquoi ? Parce qu’elles sont du « mauvais » sexe, le deuxième !
Le ruban blanc que portent certain-es d’entre nous est un signe de reconnaissance des personnes engagées contre la violence machiste et pour la paix entre êtres humains, hommes et femmes. Ce ruban est très solide. Il fera le tour du monde.
Florence Montreynaud

Si vous voulez vous procurer des rubans blancs, envoyez à Encore féministes !, Maison des femmes, 163 rue de Charenton 75012 Paris une enveloppe timbrée à vos nom et adresse + un timbre à 3F par ruban.

[Archives du réseau Encore féministes !] Ode aux vivantes de Élaine Odet (commémoraiton 2001)

Ode aux sur-vivantes

Élaine Audet

aux quatorze jeunes femmes
abattues par un homme le 6 décembre 1989
à l'École Polytechnique de Montréal
au cri de " j'haïs les féministes! "

tout au long d'une interminable minute soixante-dix battements
s'égrènent dans ta poitrine
sablier déjà troué de bruit et de fureur

tout au long d'un instant sorti de ses gonds
ton coeur gonflé de son inutile générosité
ton coeur devenu neige
anticipe l'impact définitif de cette froide pointe de métal
chauffée à la haine

tu gis dans l'eau terne de ton sang éteint
tes yeux lumineux tes yeux
clairs et clairvoyants restent obstinément ouverts
face à la masse sombre de l'homme
qui n'en finit plus de te cribler le souffle
de son silence de plomb

elle tombe elle tombe en moi ta vie avec la transparente douleur des
mères
qui la poursuit
et comme un oiseau trouve dans le ciel la mémoire des migrations
ton âme
dans la mort réapprend l'alphabet des naissances

je vois ta mère
ses bras traînent à terre d'une telle absence
d'une si irremplaçable perte
tu entends sa voix qui escalade les ténèbres
et ton nom proféré
te rassemble dans l'indifférence de ce qui n'est pas
de ce qui n'est pas encore né

je te vois devenir croisement de pensées
énergie souveraine à soi-même revenue
trouver des milliers de soeurs dans l'espace-temps
tissé de chair par les doigts d'invisibles fées

écouter nuit après nuit le murmure des emmurées
ce bouche-à-oreille avec le temps
qu'aucun historien n'a daigné retenir
revivre l'inquiétude des longues veilles
où dans la vulnérabilité de l'enfance
flotte encore le parfum hivernal du genièvre

ne vois-tu pas ton nom le mien
le nom de chaque femme écrit en lettres de sang
sur l'ardoise grinçante d'une haine entretenue de si loin

sans que tu le saches une envie féroce
désagrège tes rêves
tu cherches encore à comprendre
transpercée par l'obscur éclair
pourquoi sur toi
se venge cet inconnu

comment aurais-tu pu imaginer
que ta seule existence
nie la sienne
la seule odeur de verveine dans tes cheveux
lui fasse injure au point de te vouloir morte

ô jeune vie
ève c'est ton nom
notre nom à toutes
notre nom de fille

garance de décembre
dépouillée de son écorce vive
comme on assassine
la couleur dans la beauté


© Élaine Audet, Le Cycle de l’éclair, Québec, Le Loup de Gouttière, 1996